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NON-VOYANT ET PROFESSEUR DE MATHEMATIQUES
L’homme dont nous brossons le portrait aujourd’hui n’est pas un friaka. Personne ou peu d’entre vous le connaissent. Il n’est qu’à sa deuxième visite dans la cité de l’alumine mais nous avons insisté pour le rencontrer et vous le présenter car son histoire, si elle parfois triste, mérite d’être racontée. Il s’appelle Mohamed Lamine CISSE et nous l’avons rencontré grâce à Mlle Mamadjan DIALLO qui écrit de temps en temps pour Friainfo.
Non-voyant depuis quelques années, il continue à enseigner les mathématiques (et oui). Son amour pour cette science s’est parfois heurté à bien de préjugés ou à des incompréhensions. Fils de feu Emile CISSE génie des mathématiques, auteur et dramaturge célèbre qui a péri dans les geôles de Sékou TOURE, il a vraiment de qui tenir. La bosse des Maths est souvent héréditaire mais pour en savoir plus sur l’homme, son histoire et sa vie d’aujourd’hui, lisez plutôt ce qu’il nous a confié au cours de cette interview.
Friainfo : Bonjour Mr . . . ?
Mohamed Lamine CISSE : Je m’appelle Mohamed Lamine CISSE Professeur de Mathématiques au Lycée Bonfi de Conakry.
Friainfo : Dites-nous comment est arrivé votre mal.
Mohamed Lamine CISSE : Je souffrais depuis longtemps d’une forte myopie. Puis, j’ai eu un traumatisme au nez en 1994. L’Hôpital n’a rien décelé et malheureusement, un an plus tard, j’ai subi un autre traumatisme au niveau du front. J’ai ressenti une baisse de mon acuité visuelle. Je me suis rendu à la clinique de feu Dr SYLLA Idiatou qui a révélé que je souffrais de cataracte bilatérale à l’œil gauche et de cataracte juvénile à l’œil droit.
J’ai suivi un traitement avec lui avant de tenter une opération dans le bateau hôpital qui est a accosté ici en 1998. Un an plus tard, j’ai commencé à ressentir une opacité sur mes yeux. Je pensais que ça n’allait être que passager mais inexorablement, ma vue a commencé à diminué jusqu’à cesser complètement.
Friainfo : Etait-il possible pourtant de faire quelque chose ?
Mohamed Lamine CISSE : J’ai eu l’espoir avant de comprendre que plus rien n’était possible. Mais au fond de moi, j’espère toujours retrouver la vue. Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir.
Friainfo : Comment avez-vous vécu ce moment particulièrement difficile de votre vie ?
Mohamed Lamine CISSE : Ce fut très dur pour moi. Car dans des moments pareils, j’ai rompu avec celle qui était ma fiancée et bien d’autres amis encore.
Friainfo : Parlez-nous maintenant de vos débuts dans l’enseignement des Mathématiques.
Mohamed Lamine CISSE : Tout a commencé en 1993. J’étais d’abord contractuel au Lycée Bonfi jusqu’en 1998. J’y avais même reçu un diplôme de satisfecit en 1996. Après ma maladie, j’ai eu du mal à renouveler mon contrat car on doutait de mes aptitudes physiques à enseigner. Malgré les recrutements en cours, je n’ai pas été admis.
En 2004, j’ai eu à donner quelques cours de probabilités au Lycée Aviation pour aider un ami absent. Les élèves étaient tellement satisfaits qu’ils m’ont demandé de revenir leur donner d’autres cours. C’est ainsi qu’à la longue, j’ai compris que je pouvais encore faire quelque chose. J’ai pu revenir au Lycée Bonfi en faisant un passage au Lycée privé Koumba DIAWARA qui manquait de professeurs de Maths. Tout s’est bien passé mais le salaire n’était pas suffisant. Je devais me faire accompagner par un guide et le prix du taxi engloutissait tout mon salaire. J’y ai même assuré l’intérim d’un prof de Sciences Physiques qui avait démissionné. Là aussi, tout s’est passé et les élèves étaient satisfaits.
Friainfo : Pourtant vous sembliez être à la hauteur.
Mohamed Lamine CISSE : Oui. Auparavant, j’avais écrit au Syndicat de l’enseignement pendant les grèves de 2006-2007. Visiblement, ça ne leur a pas plu et on m’a interdit l’accès aux salles de classes. C’est ce qui m’a poussé à organiser des groupes de révision avec des élèves car ils m’y ont obligé. Et c’est de ça que je vis aujourd’hui.
Friainfo : Une question qui pourrait vous avoir déjà été posée : comment malgré votre handicap, vous arrivez à toujours comprendre les Maths et surtout à enseigner ?
Mohamed Lamine CISSE : Depuis ma tendre enfance, j’ai toujours aimé les Maths. Mon père Michel Emile CISSE fut aussi l’un des plus grands mathématiciens guinéens. Il était aussi écrivain et cinéaste. Son film ‘‘Et la nuit s’illumine’’ a remporté la palme d’or au Festival Panafricain D’Alger en 1969.
Je me suis un peu inspiré de sa vie pour me lancer dans les Maths à mon tour au point de pouvoir enseigner aujourd’hui. Je me dis parfois que si je n’avais aimé et appris les Maths, de quoi vivrais-je aujourd’hui ?
Friainfo : Aviez-vous connu Fria avant ?
Mohamed Lamine CISSE : J’en entendais parler sans avoir visité. Mon ex-fiancée est de Fria et elle m’en parlait souvent. Malheureusement, on s’est quittés quand je suis tombé malade.
J’ai pu la découvrir maintenant grâce à mes amis Alsény CAMARA et Bangaly. Je suis là pour une semaine sur la demande d’un groupe d’élèves qui préparent le bac et veulent s’exercer davantage.
Friainfo : Cela se passe-t-il bien avec eux ? Sont-ils satisfaits de vous ?
Mohamed Lamine CISSE : Tout se passe très bien et ils sont surtout très motivés. Je suis même impressionné par leurs connaissances.
Friainfo : Malgré votre handicap, avez-néanmoins des projets ?
Mohamed Lamine CISSE : J’ai des contacts avec des ONG et des fondations car j’envisage de créer ma propre école. Ecrire des romans ou l’histoire de ma vie comme mon père me tente aussi ainsi que publier des ouvrages scientifiques. Ma seule vie est un roman qui me donne l’envie d’écrire.
Friainfo : Reviendrez-vous bientôt ici ?
Mohamed Lamine CISSE : Ça dépendra de mes élèves s’ils me font à nouveau appel car il y a d’autres cours que je dois leur dispenser. Sinon, je compte bien revenir mais à titre personnel.
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